
La santé animale joue un rôle de plus en plus important dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens. À cause des résidus d’antibiotiques que peuvent contenir les aliments d’origine animale, le consommateur peut, à la longue, développer une résistance aux antibiotiques de dernière génération généralement utilisés pour soigner les infections. Il faut noter que dans le monde, ce sont 700 000 personnes qui perdent la vie chaque année à cause de la résistance aux antimicrobiens. Dans cette interview, le Dr Nadège Minougou/Comboigo, vétérinaire et experte One Health en santé animale, nous édifie sur le rôle de la santé animale dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens.
Lefaso.net : quel rôle joue l’élevage dans la lutte contre la résistance bactérienne au Burkina Faso ?
Dr Nadège Minougou/Comboigo : Au Burkina, l’élevage a une part de responsabilité dans la résistance aux antimicrobiens. Plusieurs études qui ont été réalisées dans ce sens ont permis de noter des souches de bactéries résistantes et multi-résistantes ,notamment au niveau des élevages bovins, de volaille et de porcs. La santé animale contribue à la résistance aux antimicrobiens et ce sur plusieurs volets. Il y a d’abord le fait que l’éleveur, en étant directement en contact avec les animaux, lors de la manipulation, à travers les aérosols, peut contracter des bactéries résistantes.
De même, la consommation d’aliments mal cuits (ou mal préparés), ou de lait non stérilisé, peut aussi être un vecteur de la transmission de ces bactéries résistantes.Vous allez voir que lorsqu’un antibiotique est administré à des animaux, les professionnels de santé animale savent quel temps l’éleveur doit attendre avant de mettre le produit d’origine animale à la consommation humaine. Ceci permet d’éviter la présence de résidus d’antibiotiques dans les aliments, ce qui, à faible dose, expose l’organisme humain à ces substances.. Et une fois les infections installées, les antibiotiques d’usage ne seront plus efficaces dans le traitement de certaines infections chez l’homme. Sachez que que les mêmes molécules d’antibiotiques sont utilisés chez l’homme et chez les animaux.Donc si l’on utilise les antibiotiques de dernière génération déjà pour soigner les infections chez les animaux, à la longue l’homme est exposé à ces résidus d’antibiotiques et ces antibiotiques ne seront plus efficaces chez l’homme.
Quel temps d’attente les éleveurs doivent observer avant de mettre les animaux à la consommation après un traitement d’antibiotiques ?
Les délais d’attente sont fonction de la nature de l’antibiotique. Il y a beaucoup d’antibiotiques avec des délais d’attente différents. Et cela va varier selon que l’on soit au niveau de la viande, du lait ou des œufs, ce ne sont pas les mêmes délais d’attente. C’est aux professionnels de la santé animale de préciser à l’éleveur ce qu’il faut faire. Normalement, avant de prescrire un antibiotique, il faut faire un antibiogramme en amont pour choisir l’antibiotique qui est spécifique à la bactérie. La lutte est menée pour éviter les antimicrobiens frauduleux qui ne respectent pas les normes. La saisie récente d’une quantité importante de médicaments vétérinaires qui ne sont pas dans les normes permet de contribuer à la lutte contre la résistance aux antimicrobiens.
Est-ce qu’une bonne cuisson permet d’éliminer les résidus d’antibiotiques dans la viande ?
Non, la cuisson c’est pour éliminer les bactéries. Il est difficile d’éliminer les résidus d’antibiotiques à travers la cuisson. C’est en amont que les résidus d’antibiotiques doivent être évités en respectant les délais d’attente. Sinon lorsqu’on cuit l’aliment, c’est pour tuer les bactéries qui sont responsables des infections.
Les éleveurs utilisent souvent des promoteurs de croissance sur les animaux, quelles peuvent être les conséquences de cette pratique pour le consommateur ?
L’utilisation de promoteurs de croissance chez les animaux expose le consommateur à plusieurs risques. Ces produits, qui contiennent souvent de faibles doses d’antibiotiques administrées sur de longues périodes, favorisent l’apparition de bactéries résistantes dans l’organisme des animaux. Ces bactéries peuvent ensuite être transmises à l’homme par la consommation de viandes, de lait ou d’œufs contaminés, ou encore par simple contact avec les animaux. De plus, les résidus de ces antibiotiques présents dans les denrées alimentaires peuvent, à la longue, réduire l’efficacité des traitements chez l’homme, car l’organisme est exposé à de petites quantités d’antimicrobiens sans raison médicale. En conséquence, cette pratique augmente le risque d’infections difficiles à traiter et constitue une menace pour la santé publique.. Nous évitons d’utiliser les antibiotiques comme promoteurs de croissance.
En tant que consommateurs, quelles sont les précautions à prendre ?
Déjà en tant que consommateurs, il faut respecter tout ce qui est mesures d’hygiène : bien se laver les mains avant la manipulation, bien cuire les aliments que nous consommons. Pour ceux qui aiment la viande saignante, il faut la prendre dans des surfaces où il y a des études et des tests de laboratoire qui attestent que ce sont des viandes saines. Il faut veiller à éviter la contamination des denrées alimentaires d’origine animale, en mettant l’accent sur la stérilisation du lait, la cuisson à point des viandes et la bonne cuisson des œufs. La sensibilisation continue en amont pour que l’éleveur puisse respecter les délais d’attente, surtout lors d’évènements comme la Tabaski. Il ne faut pas soigner l’animal et trois jours après le mettre à la consommation humaine.
Est-ce qu’il y a des actions menées en faveur des éleveurs pour une prise de conscience ?
De plus en plus, de nombreuses actions de sensibilisation sont menées par les services vétérinaires et par la Plateforme nationale de coordination One Health, notamment à travers le Plan d’action national de lutte contre la résistance aux antimicrobiens. C’est un travail de longue haleine et nous commençons à traduire les messages en langues locales et de plus en plus les éleveurs comprennent que c’est pour soi-même qu’on fait attention et ensuite pour les autres. Souvent l’éleveur consomme ses animaux d’abord en famille avant de les vendre.
Propos recueillis par Armelle Ouédraogo
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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