Enseignant à l’école primaire de Pètèga, dans la commune rurale de Nassoumbou (Soum), Iliasse Sawadogo relate les événements du mercredi 25 janvier 2017 dans son établissement. Toujours sous le choc de la menace de mort sur sa personne, l’éducateur, le moral à plat, revient dans cet entretien sur ce qui aurait pu être ses derniers instants sur terre.
Sidwaya (S.) : Vous avez fait l’objet de menaces par des individus non identifiés. Que vous ont-ils dit ?
Iliasse Sawadogo (I. S.) : Effectivement, le mercredi (25 janvier 2017, ndlr) soir aux environs de 16 heures, nous avons reçu la visite de deux personnes en tenue militaire de notre pays, enturbannées et armées. Elles nous ont demandé de fermer l’école si nous enseignons le français, mais si c’est l’arabe, nous pouvons continuer le travail et collaborer avec eux sans problème. Dans le cas contraire, ils nous demandent de quitter les lieux. Ils ont dit que c’est un avertissement, parce qu’on est civil, sinon si nous étions des militaires, ils nous auraient déjà abattus. Mais, ils disent qu’à leur retour, si nous enseignons toujours le français, ils ouvriront le feu sur nous. J’ai accepté en les rassurant qu’il n’y a pas de problème. Ils m’ont menacé de ne pas passer l’information, sinon qu’ils me rechercheront. Je n’ai pas eu le choix, j’ai informé mes supérieurs de ce qui s’est passé. Parce qu’on ne peut pas fermer une école sans donner une explication.
S. : Comment avez-vous su qu’ils étaient des terroristes ? Etaient-ils armés ?
I. S. : Quand ils sont arrivés, ils m’ont demandé si je suis enseignant ; je ne savais pas quoi leur répondre et j’ai dit non. Après deux questions, celui qui était cagoulé (enturbanné) a pointé son arme sur moi, et j’ai dit que j’étais enseignant. Ils ont cherché à savoir où étaient mes collègues, je leur ai dit qu’ils sont allés à Djibo. J’ai cru qu’ils recherchaient l’un d’entre nous. J’essayais en fait de les protéger. Mais après, ils ont vu d’autres. Ils sont restés avec moi pendant une heure.
S. : Pendant tout ce temps, vous ont-ils parlé d’autres choses ?
I. S. : Oui. Ils ont dit que le territoire leur appartient et que nous sommes des étrangers ici. Soit nous collaborons avec eux, soit nous quittons les lieux. Ils ont dit qu’il serait mieux de collaborer avec eux. C’est tout ce dont je me souviens vraiment. C’est difficile, je ne me souviens plus grand-chose. J’ai vraiment eu très peur. Ce n’est pas du tout facile. J’étais surpris, j’ai entendu une moto. J’ai ouvert la porte et je les ai vus. Je me suis dirigé vers eux. C’est quand j’ai vu l’arme que j’ai su que ce ne sont pas nos soldats. Je n’ai jamais vu ce genre d’armes, les balles enchaînées des pieds jusqu’au cou.
S. : Dans quelle langue, se sont-ils adressés à vous ?
I. S. : L’enturbanné parlait fulfuldé. Il m’a d’abord dit Salam malékoum et j’ai répondu. Celui qui était à visage découvert s’exprimait en mooré.
S. : Ont-ils essayé d’intimider les élèves ?
I. S. : Non, parce que le mercredi soir, nous n’avions pas cours. Les enfants n’étaient donc pas là.
S. : La visite du ministre de l’Education nationale, Jean Martin Coulibaly, vous rassure-t-elle ?
I. S. : Moi, j’ai bougé du village dès leur départ. J’étais en débardeur. Quand il est parti, j’ai quitté la zone. Actuellement, je n’ai plus le moral de repartir et d’enseigner. Je ne parle pas seulement de Pètèga, c’est la zone même qui est compliquée. Ils m’ont dit que si l’information passe, ils vont me rechercher même si je pars à Ouagadougou. Et je sais que l’information est passée. Le terroriste cagoulé m’a dit qu’il me connaît. Peut-être qu’il est de la zone. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent qu’ils viennent du Mali ou d’ailleurs pour nous attaquer. Je crois qu’ils ont des « éléments » dans les villages. D’autres villageois sont leurs sympathisants. Les patrouilles militaires ne les croisent jamais. Ils ont toujours l’information. Sinon, comment peut-on traverser un village, des armes à la main, venir passer une heure avec quelqu’un, sans que personne n’alerte les forces de sécurité ? C’est comme si les gens du village s’étaient immobilisés. « La vie » s’était arrêtée dans le village. Franchement, ce n‘est pas du tout facile.
Interview réalisée par Djakaridia SIRIBIE
Sidwaya.bf
Source: LeFaso.net
Commentaires récents