L’année 2020 marque le cinquantenaire de la Francophonie, dont l’un des principaux objectifs est la promotion et la défense de la langue française et du multilinguisme, qui est un élément essentiel du système multilatéral. Découvrez ci-dessous le portrait du Dr. Lassina Zerbo, secrétaire exécutif de l’OTICE ; portrait réalisé par l’Ambassade de France à Vienne.

Quel rôle l’apprentissage et la maîtrise du français a-t-elle joué dans votre parcours professionnel ? Et sur le plan personnel ?

Plus qu’une langue, le français est le symbole d’une communauté de valeurs ouverte vers le monde. Etre francophone, c’est aussi embrasser les valeurs universelles que sont la liberté et l’égalité ; c’est également faire le choix d’appartenir à cette communauté de valeurs qui dépasse toute réalité géographique.

Je fais partie de ceux-là qui assument, comme le grand poète algérien, Kateb Yacine, que le français est leur « butin de guerre ». Mais je dirais un butin de guerre au service de la paix, de l’Humanité ; un butin de guerre avec lequel nous construisons les ponts entre les peuples. Je me considère comme un actionnaire – dans le sens noble du terme – de la langue française.

En quoi la connaissance du français (ou d’une autre langue officielle des Nations Unies) est-elle un atout pour faire carrière dans le système multilatéral ?

La connaissance des langues officielles (plus particulièrement du français et de l’anglais, les deux langues de travail du Système des Nations Unies) reste un atout de taille pour faire carrière dans la fonction publique internationale parce qu’elles peuvent constituer des prérequis pour de nombreux postes à pourvoir, tout en constituant un avantage certain dans les échanges avec les Etats Membres.

Contrairement au système de Westphalie, le multilatéralisme est né de l’idée d’une sécurité collective. Dans cette architecture, les langues officielles des Nations Unies sont toutes partenaires et contribuent à forger les consensus les plus larges possibles. Leur maitrise constitue une grande richesse parce que chacune d’entre elles est un pont vers d’autres cultures, d’autres façons de penser le monde.

Le multilinguisme vous semble-t-il utile au bon déroulement de votre travail ? Et dans la vie de tous les jours ?

Le multilinguisme est une valeur fondamentale des Nations unies parce qu’il permet de trouver des solutions transversales dans la globalité. Son non-respect est de nature à entacher la qualité du dialogue et de la coopération, qui sont à la base du multilatéralisme prôné par les Nations Unies. J’attache donc une importance capitale à la promotion et au renforcement du multilinguisme parce qu’il est garant de démocratie internationale, d’équité, de transparence et d’efficacité. Dans la vie de tous les jours, même s’il ne s’agit pas de voir la langue comme un objectif en soi, elle constitue néanmoins un outil privilégié de découverte et de connaissance de l’autre ; de véhiculer une pensée et un regard particulier sur le monde, vers l’autre. En plus d’offrir cette grille de lecture bien particulière, s’exprimer dans la langue de l’autre nous accorde très souvent une sorte de prime : une présomption favorable de la part de notre vis-à-vis.

Sur quel plan estimez-vous que la Francophonie devrait s’impliquer davantage ? Pour quelles raisons ?

La Francophonie est plus qu’une organisation. Elle est porteuse de valeurs universelles telles que la défense des droits humains, la promotion de la paix et de la démocratie ainsi que le dialogue entre des peuples dans l’égalité et la dignité. Sous ce rapport, elle a un rôle clé à jouer dans la consolidation d’une gouvernance mondiale vertueuse.

Je reste convaincu que la Francophonie peut et doit jouer une importante partition dans la consolidation de la gouvernance mondiale, notamment la gestion de l’indivis mondial. Cela se sent déjà dans l’adoption de positions francophones communes sur les questions pressantes à l’ordre du jour des Organisations internationales. Je pense par exemple au développement durable et en particulier aux enjeux environnementaux, mais également à la science et à la technologie. Mais, au-delà des pays francophones, il faut nouer des partenariats féconds avec tous les acteurs qui partagent la même vision que la Francophonie (pays ou groupes de pays non francophones, regroupements de parlements, société civile, média, etc.).

Finalement, il me semble nécessaire d’aller vers une opérationnalisation plus accrue du rôle politique de la Francophonie, notamment dans le domaine du renforcement de la paix et de la sécurité internationale. Il va de soi que ce rôle devrait être complémentaire à celui des organisations et arrangements internationaux et régionaux déjà en vigueur. Par exemple, il pourrait être envisagé de donner plus de moyens aux représentations de la Francophonie auprès des Organisations internationales ainsi qu’aux Envoyés spéciaux. Il pourrait même y avoir des Envoyés ou Représentants spéciaux pour des questions spécifiques. Pourquoi pas un envoyé spécial pour la promotion de l’entrée en vigueur du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE).

Si vous étiez Secrétaire général(e) de l’OIF, quelles mesures adopteriez-vous afin de renforcer l’usage du français et du multilinguisme dans les organisations internationales ?

Je suppose que l’actuelle secrétaire générale et son équipe font déjà un travail excellent dans le même esprit que leurs prédécesseurs et me garderais bien de proposer des mesures à l’OIF. Néanmoins j’aimerais partager quelques idées sur la base de mon expérience du multilinguisme dans les Organisations Internationales.

Si le principe est acquis, le multilinguisme est un combat de tous les jours et de tout le monde. Il n’est en aucun cas une arme destinée à combattre une langue donnée, mais plutôt un instrument pour permettre à tout un chacun de s’assoir au grand banquet des nations. Pour gagner ce combat, il faut des actions et initiatives concrètes. Il pourrait être envisagé de désigner des points focaux sur le multilinguisme au sein des organisations internationales. Ces points focaux auraient la responsabilité de conduire certaines initiatives et de veiller au respect des règles garantissant le multilinguisme. À titre d’exemples, cette fonction pourrait, avec le soutien des représentants permanents des États francophones et non francophones, mener les actions suivantes visant à rétablir et/ou sauvegarder l’équilibre entre les langues au sein des Organisations internationales :

• exiger des services de traduction et d’interprétariat lors de toutes les réunions officielles ;

• réduire le nombre et la fréquence des réunions informelles ainsi que leur poids sur les décisions finales parce que l’absence de services de traduction et d’interprétariat à ces réunions enfreint la représentativité ;

• assurer, lors des procédures de recrutement pour des postes à responsabilité, la diffusion des offres d’emploi dans toutes les langues de travail, et s’assurer que les épreuves de sélection ainsi que les entretiens se déroulent dans ces langues.

• obtenir que la communication entre secrétariats et États-membres se fasse dans la langue officielle de l’État si celle-ci fait partie des langues officielles des Organisations internationales et, au cas contraire, dans une autre langue officielle choisie par cet État ;

• exiger que les publications soient traduites dans toutes les langues officielles des Organisations internationales et que leurs sites internet soit également disponible dans ces langues.

En plus de ces actions concrètes et immédiates, trois autres pistes de propositions pourraient être explorées. D’abord, la Francophonie gagnerait à renforcer la dimension jeunesse en favorisant la participation des jeunes francophones dans la fonction publique internationale. À cet effet, le programme des jeunes experts francophones pourrait être réactivé et transformé. Ensuite, je pense qu’il faut promouvoir le développement d’une culture scientifique dans l’espace francophone notamment par le biais d’une diplomatie scientifique proactive car la place de la langue est, en partie, déterminée par son rôle dans les avancées scientifiques et technologiques. Enfin, le réseau des groupes des Ambassadeurs francophones (GAF) pourrait être davantage mis à contribution, en particulier pour mettre en œuvre les actions identifiées ci-dessus.

Quelle nouvelle langue aimeriez-vous apprendre si vous aviez l’occasion et le temps ? Pourquoi ce choix ?

Si j’avais vraiment l’occasion et le temps je ne me contenterais pas d’apprendre une seule langue mais bien plusieurs. D’ailleurs j’admire cette nouvelle génération de jeunes professionnels qui parlent plusieurs langues et qui font vivre naturellement le multilinguisme et portent ses valeurs dans nos organisations.

Représentation permanente de la France

Auprès de l’Office des Nations Unies et des Organisations

Internationales à Vienne

Source: LeFaso.net