Au Burkina, le congé de maternité est de trois mois, dont au plus tôt huit semaines (deux mois) et au plus tard quatre semaines (un mois) avant la date présumée de l’accouchement. Passé ce temps de repos, la femme qui vient de donner la vie repart travailler. Et ce, peu importe si l’accouchement a été traumatisant ou si l’enfant n’est pas en bonne santé. Profitant de la révision en cours du Code du travail, un groupe de jeunes militants en faveur d’une maternité paisible a lancé une pétition pour le prolongement du congé à six mois pour les femmes qui le désirent et un mois pour les hommes. Salif Ouédraogo, connu sous le pseudonyme de Ackermann Ouédraogo, est un membre actif de ce groupe. Il a invité les femmes, surtout celles qui sont réticentes, à y adhérer massivement lors d’un entretien accordé à notre média, le mercredi 23 septembre 2021 à Ouagadougou.

Lefaso.net : D’où est venue l’idée de lancer une pétition pour le prolongement du congé de maternité à six pour les femmes qui le désirent ?

Salif Ouédraogo : Cette initiative prend racine dans un constat qui est celui que la femme est toujours stressée à l’idée de repartir travailler après son congé de maternité qui dure théoriquement trois mois. Pas un stress du fait qu’elle ne veut pas retourner au travail, mais un stress du fait que le temps n’a pas suffi soit pour s’accommoder de cette nouvelle situation, soit pour s’habituer à ses nouvelles responsabilités, soit parce que la quiétude que l’enfant devrait avoir quand on n’est pas là n’est pas bien établi. Le résultat de tout cela, ce sont des femmes qui repartent au boulot mais qui ne sont pas à 100% au boulot. On a pensé qu’il serait bien que ces conditions, qui sont déjà bonnes, soient revues afin qu’elles (les femmes) puissent avoir une meilleure quiétude après une naissance qui est un évènement assez particulier dans la vie d’une femme.

Concrètement, quelles sont les causes que vous défendez ?

Notre combat se décline en trois points. Le premier point rejoint le déclenchement du congé de maternité. La loi voudrait que la femme parte obligatoirement en congé de maternité huit semaines au plus tôt et au plus tard quatre semaines avant la date probable de la délivrance. Ce qu’on aurait souhaité, c’est que ça ne soit pas systématique, parce que toutes les femmes ne sont pas logées à la même enseigne.

Elles ne portent pas leur grossesse de la même manière. Leurs organismes ne réagissent pas de la même manière. L’idéal serait que ce congé soit déclenché par un avis médical. Le second point, c’est qu’on permette à la femme d’avoir le choix entre le congé tel qu’il est appliqué présentement, qui est de trois mois, et un congé de six mois. La communication qui est passée, les gens ont cru comprendre que l’idée c’était que le congé de maternité soit prolongé à six mois. Oui, il y a cet aspect mais il y a deux volets. Il y a le volet prolongement de trois à six mois, et le volet choix. La femme, en fonction de sa condition (physique, sanitaire, professionnelle) pourra choisir entre trois ou six mois de congé. Le troisième point concerne les hommes.

L’arrivée d’un nouveau-né est une situation qui concerne les deux parents. Le premier mois de l’arrivée d’un bébé est une galère pour les parents. On a souhaité que ce qui est déjà fait, qui est une autorisation de trois jours qu’on accorde au papa pour rester auprès de sa famille afin de gérer certaines formalités administratives, soit prolongé à un mois. Cela lui permettra également de construire un lien avec l’enfant, parce que l’enfant a déjà un lien avec la maman.

Vous avez lancé une pétition pour l’allongement du congé de maternité à six mois afin de présenter le projet à l’Assemblée nationale. Est-ce que vous pouvez nous dresser le bilan à ce jour ?

Cette pétition se porte bien. Au moment où je vous parle, nous sommes à 12 865 signatures pour un objectif de 15 000.

Est-ce que vous êtes optimiste quant à l’adoption de cette initiative par l’Assemblée nationale ?

Comme dans toute chose dans laquelle on s’engage, on part du principe qu’on va réussir. Nous sommes dans cette dynamique. Le fait qu’on en parle, c’est déjà une victoire ; que des gens prennent le temps d’échanger là-dessus, cela signifie que c’est un sujet qui a de la valeur. Le défi, c’est de travailler à convaincre les gens qu’on peut le faire. Six mois, ça peut paraître beaucoup, mais si ça se fait ailleurs, nous aussi on peut le faire. C’est juste une question de volonté et de recherche du bien-être de la femme et de l’enfant. Soit on résout le problème maintenant, soit on le résout plus tard. Qu’est-ce qu’on essaie de résoudre ? Les absences répétées quand la femme reprend le travail, les maladies infantiles qui surviennent parce que l’enfant n’a pas été suffisamment allaité au sein.

Si cette initiative venait à être adoptée, ne pensez-vous pas qu’elle pourra avoir des conséquences fâcheuses surtout qu’il n’est pas simple pour un employeur de s’organiser afin de permettre une absence d’une longue durée ?

Je comprends cette préoccupation. D’ailleurs, on a réfléchi à cela. Forcément, c’est une mesure, si elle doit passer, qui va entraîner un certain nombre de choses. La pétition est une action de communication pour attirer l’attention des gens sur le sujet. La prochaine étape c’est de constituer ce groupe en un bloc associatif qui aura une existence formelle et reconnue. Après cela, il y aura une phase de sensibilisation qui va concerner et les acteurs du monde du travail et le patronat.

C’est à l’issue de tout cela qu’on aura affaire à l’Assemblée nationale pour voir comment cela pourrait être passé en loi. Ça veut dire que sur le chemin, on aura le temps de discuter et convaincre les gens, et dégager des pistes de solutions pour que les uns et les autres sortent gagnants. Lorsqu’un employé reste six mois à la maison, la responsabilité sociale voudrait que l’employeur se préoccupe de sa santé, de sa famille. Malheureusement, les gens regardent beaucoup plus les chiffres. Au-delà des chiffres, il y a des hommes qui travaillent. Ce sont les contributions de ces derniers qui permettent d’avoir des résultats satisfaisants.

Est-ce que le prolongement du congé de maternité ne va pas entraîner un coût supplémentaire pour les finances ?

Pas forcément. Il y a déjà trois mois que l’Etat prend en charge. Les trois autres mois qui restent, on peut travailler à ce qu’elles reçoivent des prestations minorées. L’employée pourra ainsi voir ses prestations diminuer de 25% par exemple. Cette charge peut être répartie entre l’Etat et l’employeur. Ce sont des questions qui pourraient être discutées si on est d’accord que c’est utile et qu’on devrait aller dans ce sens. J’ai foi qu’on trouvera un terrain d’entente.

Du constat général, il ressort que cette initiative ne fait pas l’unanimité au sein de la population. Certaines femmes estiment qu’elles seront stigmatisées avec un tel projet. Quel est votre commentaire sur la question ?

Si notre initiative passe en loi, ça sera officiel donc obligatoire. On ne pourra pas chasser une femme parce qu’elle a accouché et qu’elle doit bénéficier de six mois de congé.

Est-ce que vous avez un appel particulier à l’endroit de celles qui sont réticentes ?

Ce sont les femmes qui devraient être nos premiers soutiens. Malheureusement, les plus grandes oppositions viennent de la gent féminine. Alors que c’est une mesure qui est censée les protéger. Je comprends, parce qu’elles se disent que ça sera risqué pour elles de faire six mois à la maison. Mais, je les invite à regarder les retombées et à s’engager. Aujourd’hui, on parle de six mois, les gens sont choqués. Mais avant peut-être, au moment où on parlait des trois mois, les gens étaient choqués de la même manière.

Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé

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Source: LeFaso.net